| 31 octobre 2022
Low-tech Lab : « La low-tech trouve sa place dans les cursus d’écoles d’ingénieurs »

La démarche low-tech gagne du terrain dans les sphères de l’enseignement supérieur en cette rentrée 2022-2023. L’école Centrales Nantes inaugure une option low-tech à laquelle participent six étudiants tandis que L’Institut polytechnique de Grenoble (INP) poursuit son programme avec pour fil rouge la démarche low-tech. Ces orientations pédagogiques émergent alors que convergent au centre des attentions des problématiques bien spécifiques : la crise de l’énergie, la fuite des jeunes employés en crise face au manque d’ambition écologique de leurs entreprises, la nécessité de réconcilier enseignement responsable et insertion professionnelle responsable.

Un article rédigé par Anaïs Demont du Low-tech Lab

Une option projet en lien avec le catamaran We Explore

La nécessité de renforcer la formation des futurs ingénieurs aux enjeux écologiques par le biais de l’introduction de la notion “low-tech” ont conduit l’école Centrale Nantes, le fonds de dotation Explore, le Low-tech Lab et l’association Apala à proposer, à partir de cette rentrée 2022, une option projet entièrement consacrée à l’appropriation de la démarche low-tech. L’objet d’étude associant l’apprentissage des ingénieurs à l’intégration de systèmes low-tech sur le catamaran We Explore est à la hauteur des ambitions de sensibilisation et d’homologation de la formation technique low-tech.

Inscrire cette option dans le cursus d’ingénieur vise à la fois à renforcer le champs de connaissances et d’applications des solutions low-tech et assoir la légitimité de cette démarche dont l’appropriation des principes par les futurs ingénieurs ne seront pas discutés mais affirmés et valoriés auprès des entreprises.

Bien que ces formations surviennent à un moment clé, il aura fallu deux ans pour construire un tel programme pédagogique sur la base d’une collaboration étroite entre Explore, le Low-tech Lab, Centrale Nantes et Apala. A l’origine de cette rencontre : un rapprochement entre le réseau d’écoles Centrale et Explore, puis la prévalence progressive d’un enseignement low-tech à introduire et formaliser.

Interview de Jean-Marc Benguigui, ingénieur et enseignant à Centrale Nantes

Il a saisi l’occasion d’un rapprochement avec Explore pour associer le Low-tech Lab et l’association Apala, présente à Nantes, à la table des discussions pédagogiques. En appuyant une démarche de terrain, d’expérimentation empirique et manuelle, Jean-Marc Benguigui et Explore ont décidé de faire des futurs étudiants de l’option low-tech des ingénieurs participant à part entière au projet du catamaran de Roland Jourdain qui s’élancera le 6 novembre sur la Route du Rhum.

Comment avez-vous construit le programme pédagogique ?

C’est un sujet auquel je m’intéressais depuis un certain temps, depuis 2013. Je me suis beaucoup inspiré du mooc réalisé par Explore et des connaissances acquises via le Low-tech Lab et Apala, fournisseurs de contenus et lien vers d’autres acteurs.
J’ai commencé à insérer des réflexions low-tech dans mes enseignements il y a deux ans. Le format de l’option projet (qui suppose une pédagogie particulière) convient au démarrage de cette formation. Ces formats d’enseignement s’appuient sur l’apprentissage par la pratique. Nos étudiants se servent de leurs actions et expériences en plus de la théorie pour apprendre et sont ravis à l’issue de leur année. Emmanuel Poisson-Quinton a proposé de travailler sur le catamaran. Ce format de projet est adapté car il libère du temps pour du travail de terrain sur sept mois et des cours sur mesure. Pour chacun des 6 six étudiants cela représente 600 heures de projet et 150 heures d’enseignement. Les élèves écriront les polycopiés, ce qui est un test cette année. Je les encourage à lire car ce parcours se veut pluridisciplinaire !

Introduire l’option low-tech dans le paysage des écoles d’ingénieur est une étape importante. Si nous rentrons dans le détail de la formation, il est aussi question de sciences humaines et d’ouverture vers une diversité d’apports : le format associatif avec Apala et l’intégration de différents corps de métiers…

A Centrale, les étudiants ont un parcours de trois ans : en 2e année ils font le choix d’une option et en 3e année une autre. Il y a une 20e d’options proposées (de la mécanique au génie industriel), dont trois options proposées sous le format « projet ». Les six étudiants de l’option ingénierie des low-techs vont être épaulés par d’autres étudiants par équipes de trois ou quatre venus des options énergie / systèmes embarqués ou transition écologique. Pour ce qui est de la participation d’Apala, l’association se compose de 4/5 salariés et principalement des ingénieurs. Le fait de travailler avec Explore et le Low-tech Lab est une belle impulsion. L’option transition écologique pourrait évoluer (120h d’enseignement). J’aimerais bien sensibiliser d’autres écoles ou créer un tronc universitaire avec plusieurs branches (économie / sociologie) et pourquoi pas le transformer en option classique. Désormais, on essaie de monter des thèses sur les techniques low-tech. Il faut que ca se pérennise et que ça s’amplifie. Centrale Nantes étant désormais membre de Nantes Université, cela permet d’imaginer de travailler avec les IUT mais aussi avec d’autres enseignements tels que les sciences humaines sur ces sujets. C’est mon idéal de diplôme universitaire.

La proposition d’un enseignement low-tech, qui ne soit pas considérée comme une option parmi un catalogue de formations mais bien une spécialité qui oriente les élèves ingénieurs, a-t-elle été adoptée facilement ? Avez-vous eu écho de réticences et quels arguments avez-vous avancés pour y répondre ?

Il y a deux ans, des étudiants ont rédigé une lettre ouverte avec la volonté d’avoir à la tête de leur école un directeur responsable. Jean-Baptiste Avriller est un directeur qui a cette volonté de faire évoluer l’école. Ce qui lui plait dans cette option de 600h, c’est que les élèves arrivent à développer des solutions techniques concrètes qui montrent que la low-tech a toute sa place dans une école d’ingénieurs. Cette nouvelle option est certainement le début de nouvelles opportunités qui élargiront l’enseignement des low-techs à Centrale Nantes et dans les autres établissements du supérieur. Explore et Centrale on a déjà manifesté leur intérêt pour continuer l’année prochaine. Quand on a présenté l’option low-tech certains collègues voulaient s’assurer de la validité scientifique de cette option et si elle pouvait réellement les former à l’industrie. Mais depuis un mois et l’ouverture de l’option, beaucoup d’industriels m’ont sollicité. Aux jeunes qui se posent des questions sur leur place dans l’option, je leur réponds qu’il y aura des perspectives dans la construction automobile par exemple. Argument que je pourrai présenter dans les prochains projets, je ne fais pas de soucis à faire valoir cette option. On est en train de prouver le potentiel d’employabilité et les industriels commencent à regarder de près ce sujet. On attire des industriels comme les institutions… il y a un engouement fou ! J’espère que cet engagement pris par Centrale Nantes va libérer d’autres écoles.

Comment s’est passé le recrutement des élèves ? Comment se passe cette rentrée ?

Juste avant l’été nous avons fait le classement des demandes. Des six retenus, certains sont actuellement en 2e et d’autres en 3e année d’école. Elle répond aux aspirations d’un certain nombre de nos étudiants et certains anciens d’entre eux m’ont dit qu’ils auraient aimé participer à la naissance de cette spécialité. Le départ de la Route du Rhum le 6 novembre, nous amène à organiser avec les étudiants, fin octobre, un voyage pour approcher les associations qui sont le long de la Rance sur la route pour aller retrouver le bateau qui sera à Saint-Malo pour le départ. L’exploration suppose d’aller voir ce qu’il se fait ailleurs, ce qui se fait de différent, pour revenir avec des inspirations. C’est la philosophie low-tech.

« On est en train de prouver le potentiel d’employabilité et les industriels commencent à regarder de près ce sujet. On attire des industriels comme les institutions… il y a un engouement fou ! J’espère que cet engagement pris par Centrale Nantes va libérer d’autres écoles. »

Jean-Marc Benguigui
À propos de l'auteur
Emmanuel Poisson-Quinton
Coordination de projets Explore