Depuis fin 2020, l’équipe de Captain Darwin a rejoint la base Explore. L’expédition s’élancera en septembre prochain pour un tour du monde de 4 ans sur les traces du naturaliste Charles Darwin. A travers ce fabuleux voyage, un objectif : sensibiliser à la protection de nos écosystèmes. Entretien avec Victor Rault, fondateur du projet.
Pourquoi avoir décidé de suivre les traces de Darwin ?
Je me suis assigné la mission de faire de la sensibilisation à l’environnement, avec l’ambition de pouvoir mobiliser les citoyens à la conservation de l’environnement. C’est le cap que je me suis fixé au sens large et évidemment il y a plein de manières d’y parvenir. Cela fait maintenant huit ans que je réalise des films documentaire sur des sujets environnementaux. J’ai notamment travaillé pour Arte et France Télévision. Depuis 2014, je suis régulièrement l’équipe d’Under The Pole sur des tournages autour du monde, à bord de leur goélette d’exploration le WHY. L’idée d’avoir mon propre projet, mon propre bateau, a germée progressivement au contact d’Emmanuelle et Ghislain Bardout. Mais je me suis toujours dit que je lancerai mon expédition à la seule condition d’avoir un projet solide. C’est à bord du WHY, à Moorea (Polynésie Française) que j’ai découvert De l’origine des espèces, le livre du scientifique anglais Charles Darwin. J’ai alors pu faire la comparaison entre la description que Darwin faisait de l’île en 1835 et ce que je pouvais en observer aujourd’hui. Cela m’a semblé être un moyen très évocateur de parler de l’impact des sociétés humaines sur leur environnement. Quand Darwin a fait son voyage, nous étions aux prémices de la société industrielle et du capitalocène, l’âge géologique dans lequel nous nous trouvons. C’est ce qui permet de pouvoir comparer ce qu’étaient les écosystèmes sans impact de l’homme et ce qu’ils sont aujourd’hui, d’où l’idée de récréer ce voyage.
Peux-tu nous expliquer un peu plus sur cette notion de capitalocène ?
On entend souvent parler de l’anthropocène, « ère de l’humain », qui caractérise la période depuis laquelle les activités humaines ont une influence globale significative sur l’écosystème terrestre. Mais toutes les sociétés humaines ne sont pas la cause de ces bouleversements mondiaux. Les inuits ou les aborigènes n’y sont pour rien, c’est plutôt le modèle économique dans lequel nous nous trouvons qui est la cause du problème. Donc ce n’est pas le problème de l’Homme en général mais plutôt d’un type de fonctionnement de nos sociétés.
Justement, est ce que Darwin lui aussi constatait à son époque l’impact des hommes sur la biodiversité ?
Oui il avait déjà cette idée que les sociétés européennes bouleversaient les territoires sur lesquels elles s’installaient. Dans son livre, Darwin parle d’une espèce de renard polaire, le Warrah, ou loup des Malouines, qui sera une pièce du puzzle qui le mènera à la théorie de l’évolution. Il prédisait déjà la future disparition de l’espèce causée par l’activité humaine*.
Cela dit, même si Darwin pouvait témoigner d’impacts locaux, le problème concerne aujourd’hui toute la planète à cause des bouleversements climatiques globaux (réchauffement atmosphérique, acidification des océans,…). A travers l’expédition Captain Darwin, nous allons essayer de comprendre ces bouleversements, en ciblant notre travail sur des espèces intéressantes et symboliques.
L’idée est d’utiliser la perspective historique pour comprendre le présent, mais aussi faire de la prospective à long terme : Darwin à fait son expédition il y a près de 200 ans. Nous faisons la notre aujourd’hui. Qu’est ce que pourrait observer quelqu’un qui la ferait 200 ans après nous ? Au fil des escales on souhaite pouvoir solliciter les scientifiques et les citoyens engagés dans la protection de la Nature, leur demander à quoi ils pensent, à quoi leur territoire ressemblera dans 200 ans si les politiques de conservation se généralisent. Ce travail de prospective nous permettra d’avoir une vision positive, de montrer aux gens le monde que l’on pourrait construire si on passait massivement à l’action.
*considérée comme nuisible et chassée à grande échelle l’espèce s’est éteinte en 1876, 43 ans après le passage de Darwin.
C’est intéressant de vouloir insuffler cette vision positive pour sensibiliser les gens quand on sait la gravité de la situation dans laquelle nous nous trouvons.
C’est tout un débat dans les milieux écologistes. Par exemple, Cyril Dion, le célèbre militant et réalisateur de films (parmi lesquels on compte Demain) avait cette approche positive pour essayer d’amener les gens à agir et il est aujourd’hui – me semble-t-il – beaucoup plus pessimiste. Il tire la sonnette d’alarme et rejoint d’une certaine manière les collapsologues qui ont une vision très pessimiste du futur de l’humanité (qu’ils appellent réaliste, naturellement). C’est vrai qu’il y a des problèmes et qu’ils sont graves. Le changement climatique à une inertie énorme, on ne peut pas l’arrêter et nous ne sommes pas aujourd’hui dans une voie qui nous permet d’être optimiste. Nous avons du mal à réduire nos consommations, à changer nos modes de vie. Et en même temps, je trouve qu’il faut savoir trouver un équilibre : ne pas être naïf sur le constat, mais savoir garder quelques « poches » d’optimismes qui motivent à agir.
Comment vas-tu essayer de sensibiliser le public à ces enjeux ?
Tout d’abord avec la série que j’ai déjà commencé à réalisé et qui est diffusée sur Youtube. Comme on est sur internet, nous avons dû réfléchir à une stratégie de diffusion pour éviter l’effet de bulle, que les vidéos soit uniquement regardées par les personnes déjà intéressées par l’écologie. Sur Youtube le public est jeune, c’est la raison pour laquelle on veut aussi raconter l’aventure humaine, pour amener les gens à s’intéresser aux sujets scientifiques. C’est déjà ce qu’a fait Darwin dans son livre où il racontait son voyage, ses émotions, ses réactions quand il arrivait dans un nouvel endroit. Ce n’est ni un livre de science, ni un roman de voyage, mais un entre deux. J’aime bien cette idée de partir à partir de quelque chose que Darwin avait déjà fait. Et c’est quelque chose qui se fait beaucoup sur YouTube. On ne révolutionne pas le concept mais il y a un côté romantique à voyager autour du monde en bateau qui je pense plaira aux gens.
Nous n’avons pas prévu de travailler avec la télévision. Grâce à Internet, on peut diffuser au monde entier de façon gratuite, il faut en profiter car cela répond complètement à notre objectif de sensibilisation.
En parallèle, on développe un programme pédagogique pour toucher le public jeune, principalement sur le territoire breton. L’idée est que regarder des films c’est bien, mais la prise de conscience est d’autant plus forte qu’on est immergé dans l’environnement et qu’on en fait l’expérience sensible. A travers des ateliers adapté à chaque tranche d’âge, on pousse les jeunes à faire des sorties naturalistes pour cultiver leur capacité d’observation du milieu, aiguiser leur curiosité et développer un esprit critique. Tout cela me semble nécessaire pour les amener à s’engager pour la conservation de l’environnement.
En partenariat avec Nathalie Delliou, on développe le programme Darwinig, « petit Darwin » en Breton, à destination des primaires. Le but est d’organiser des visites du bateau en même temps que des ateliers autour de l’évolution, du fonctionnement du vivant, et sur Darwin : son expédition, des éléments d’histoire et de géographie. On va recevoir les classes sur les mois d’avril/mai de cette année, et chaque classe qui viendra pourra suivre le voyage et participer à des sorties naturalistes comparatives. Par exemple, si nous étudions les oiseaux marins au Brésil, les classes organiseront des sorties sur les oiseaux de leur territoire et on pourra ainsi comparer par vidéo nos observations respectives. L’idée, c’est de connecter le territoire des enfants à ce qui se passe ailleurs dans le monde.
En juin, on partira pour un tour des îles du Ponant, de l’île d’Arz à Chausey. En plus des ateliers précédents, on proposera aux écoles qu’elles nous fasse une visite de leur île et qu’elles nous présentent sur le terrain une espèce de leur choix. Pour nous, c’est l’occasion d’échanger, de découvrir et aussi de tester grandeur nature le bateau et notre préparation.
Pour les lycéens, nous avons mis en place avec les secondes « maintenance nautique » du lycée Pierre Guéguin de Concarneau, un atelier de création de documentaire en partenariat avec la station de biologie marine. Les élèves ont choisi un thème, du langage des goëlands à l’acoustique des mares, et fait le travail d’écriture. Nous allons ensuite effectuer la partie tournage, avec des interviews des scientifiques spécialistes des sujets choisis. Enfin, en partenariat avec la Station Marine, le lycée, Captain Darwin et Explore, les élèves présenteront leurs productions lors d’un mini festival.
Quelque chose pour les étudiants ?
Oui ! Nous travaillons avec les Master 1 en « gestion de l’environnement » de l’IAE de La Rochelle. Ils ont été sollicités pour nous aider à mettre en lumière une initiative citoyenne sur chacune de nos étapes. Ce programme s’intègre à l’une de leurs unités d’enseignements. Il a commencé il y a un mois et fonctionne très bien. Les étudiants sont très réceptifs et motivés. Je crois qu’ils apprécient de travailler sur un sujet concret, en lien avec leurs études et que c’est également pour eux une source d’inspiration et de voyage qui leur fait du bien, surtout pendant la période actuelle.
Pour suivre les aventures de Victor, retrouvez le sur :