| 12 mai 2022
Captain Darwin, éloge de la biodiversité et de l’action environnementale par Victor Rault

« S’émerveiller devant le vivant et comprendre le degré de parenté qui nous relie à tous les êtres vivants conduisent à l’action environnementale. »

Un tour du monde à la voile dans le sillage du naturaliste Charles DARWIN, pour suivre l’évolution de la biodiversité depuis 200 ans et sensibiliser à sa protection : voilà l’essence de l’expédition CAPTAIN DARWIN, débutée en octobre 2021 et prévue pour quatre ans.
A travers ces lignes, Victor Rault, fondateur du projet, nous partage sa vision ainsi que celle des scientifiques rencontrés, mettant en lumière les questionnements sur nos enjeux environnementaux actuels et sur l’importance de nos actions citoyennes.

Sensibiliser par le partage et la mise en perspective

Je suis très heureux de ce début d’expédition. J’ai la chance de pouvoir témoigner d’une nature riche et puissante, même si elle est mise à mal par les activités humaines. Ces derniers mois auront confirmé que le concept de Captain Darwin fonctionne. Oui, la perspective historique avec Darwin a du sens et permet de poser un regard neuf sur les écosystèmes. Oui, les témoignages des scientifiques et des citoyens sont des armes puissantes pour sensibiliser le grand public et les plus jeunes à la beauté et à la fragilité de la Nature.

Biodiversité, des évolutions notables depuis les témoignages de Darwin il y a 200 ans: l’exemple du Cap-Vert

Au cours de notre exploration des îles désertiques du Cap-Vert, nous avons pu établir un comparatif historique des écosystèmes terrestres et sous-marins particulièrement marquant. On peut considérer les écosystèmes comme parfaitement « vierges » dans les années 1600, avant l’arrivée des colons portugais. Les îles étaient alors totalement inhabitées : à terre et en mer, on pouvait voir de nombreuses espèces végétales et animales.

À l’époque de Darwin, au début du XIXe siècle, la situation est très différente à terre. Les Portugais essaient alors de coloniser les îles, construisent des fermes, coupent le bois disponible et introduisent de nombreuses espèces invasives. L’arrivée du chat en particulier est une véritable catastrophe pour les populations d’oiseaux. L’écosystème sous-marin quant à lui commence à être exploité, mais à petite échelle : l’impact des activités humaines y est alors très limité.

À notre époque, on constate l’impact dévastateur de la colonisation, alors que les hommes ont déserté les îles, qui ont été déclarées réserve naturelle. On ne trouve quasiment plus d’arbre, et les espèces animales terrestres sont très peu présentes, certaines espèces ayant d’ailleurs complètement disparu par endroits. Le développement de la pêche industrielle a eu raison de la majorité des grands poissons, dont les requins.

On observe malgré tout déjà les aspects positifs de la protection environnementale liée à la création de la réserve. Ainsi, les chats ont été éradiqués il y a quelques années, permettant le retour progressif de certaines populations d’oiseaux, dont certaines, comme l’Alouette de Raso, ont été artificiellement réintroduites. Pour l’essentiel, il est interdit d’y mouiller, d’y plonger et d’y pêcher, même si le gouvernement manque aujourd’hui de moyens pour faire correctement appliquer la législation.

La démarche prospective, réfléchir au-delà de l’échelle scientifique

La démarche prospective d’imaginer le paysage dans 200 ans nous apporte de précieux éléments de réflexions. Il semble tout à fait pertinent, dans le cas précis des îles désertiques du Cap-Vert, d’opérer des programmes de réintroduction et de « correction » des écosystèmes. Il est ainsi particulièrement évident que des mesures correctives sectorisées (ne visant qu’une seule espèce) engendrent des externalités positives qui vont parfois au-delà des espérances des scientifiques. L’éradication du chat avait ainsi été pensée pour permettre la réintroduction de l’Alouette de Raso, mais elle favorise également largement le retour des oiseaux de mer qui nichent dans le sable, ce qui favorise concurremment le retour des lézards, qui fertilisent alors les sols et permettraient le retour d’une certaine végétation, et ainsi de suite.

Le comparatif avec Darwin permet de réfléchir au-delà des échelles temporelles que la science peut appréhender. Le dernier rapport du GIEC nous rappelle que le long terme – limite maximale de projections statistiques de scénarios plausibles – se situe à environ 80 ans, voire 100 ans maximum. Notre travail n’est donc pas fondamentalement de nature scientifique. Premièrement car les données collectées par Darwin ne correspondent pas au cadre moderne de la production scientifique ; il ne fait pas état de statistiques quantitatives mais apporte une approche qualitative – donc purement descriptive. Deuxièmement car les données scientifiques actuelles ne permettent pas d’aller jusqu’à l’élaboration d’un scénario crédible à 200 ans.

Cela étant dit, il me semble particulièrement intéressant de sortir du cadre strictement scientifique pour toucher au monde plus sensible des espérances. Quel monde les scientifiques espèrent-ils léguer, non pas à leurs enfants, mais à leurs arrière-arrière-arrière-arrière-arrière-arrière-petits-enfants ? S’ils pensent qu’une voie est possible pour construire des écosystèmes durables, quelle est-elle ? Sont-ils optimistes sur notre capacité collective et individuelle à la développer ?

Le bilan des scientifiques sur l’impact du développement des activités humaines

Nous avons eu l’occasion, après quasiment 6 mois d’exploration à travers l’océan Atlantique, d’interroger en détail 3 scientifiques sur le sujet. Tous font état de destructions irréversibles sur les écosystèmes, vues à travers le prisme de l’étude d’une espèce ou d’une famille d’espèces particulières.
Remarquons que ce constat est loin d’être inhérent à notre époque. L’empreinte profonde des activités humaines sur la Nature est documentée sur des dizaines de milliers d’années. Partout où notre espèce a colonisé de nouvelles terres, de nombreuses espèces – et notamment les mammifères géants – ont disparu.

L’époque de Darwin marque un tournant sur l’échelle de l’impact écosystémique des activités anthropiques, car il s’agit du début de la révolution industrielle, époque à laquelle nous avons su nous doter d’outils de production d’une puissance hallucinante. Les bateaux de pêche industrielle responsables de l’éradication partielle du haut de la chaîne trophique dans les eaux des îles désertiques du Cap-Vert en est un excellent exemple. Nos activités mortifères ne sont donc pas fondamentalement nouvelles par nature, mais totalement inédites par leur amplitude.

Dans ce contexte, le travail prospectif à 200 ans prend alors un intérêt tout particulier. Considérant les changements massifs dans l’équilibre naturel depuis l’époque de Darwin et leur croissance exponentielle liée à la nature de l’évolution technologique, la projection en 2200 nous donne à voir un monde dans lequel, si nous ne savons pas nous organiser pour faire décroître la pression sur les écosystèmes, nous aurions alors largement dépassé tous les points de rupture et ainsi provoqué un effondrement pur et simple de la Nature telle que nous la connaissons.

Qu’en pensent les scientifiques ? Évidemment, il est question ici de statistiques et d’imagination, et non de certitudes. La plupart évoquent un futur où la détérioration des écosystèmes se prolonge. La plupart évoquent une incapacité des sociétés humaines à s’ajuster suffisamment rapidement pour éviter le pire : disparition d’espèces et dévastation d’écosystèmes. Certains rapportent que le rythme destructeur pourrait s’amplifier, mais d’autres relèvent une incidence non négligeable des politiques de conservation qui se mettent en place. En témoigne ainsi le travail réalisé sur les îles désertiques du Cap-Vert, et dans certaines régions de la forêt atlantique au Brésil.
Les principaux problèmes relevés sont la pêche industrielle, l’expansion urbaine, les pollutions locales au plastique, l’introduction d’espèces invasives, le réchauffement atmosphérique, océanique ainsi que l’acidification des océans.

Les actions de conservation, indispensables à la préservation de nos écosystèmes

Les scientifiques fonctionnent rationnellement et basent leurs projections sur des chiffres validés par leurs pairs : l’issue leur semble globalement inéluctablement négative, à des degrés variés.
Il n’en reste pas moins que l’action de conservation est pointée par tous comme indispensable et produisant d’excellents résultats, parfois même au-delà des espérances. La création de réserves naturelles et les moyens de contrôle qui y sont associés est ainsi un dispositif particulièrement performant.

Comprendre la fragilité de notre existence pour mieux la préserver

La vie est d’une extraordinaire minutie dans son agencement, et il faut se rendre compte de la magie derrière le fonctionnement d’un écosystème, de centaines voire de milliers d’espèces qui interagissent les unes avec les autres. Il est curieux que les mots qui me viennent en tête soient autant du registre du surnaturel, quand Darwin a justement avancé une explication purement rationnelle au fonctionnement de la Nature.
Il ne m’a pourtant jamais semblé étonnant que notre espèce ait pu penser à une intervention divine dans la création d’un engrenage si complexe et si parfait d’atomes, de molécules, de cellules. Voltaire disait : « Le monde est une horloge et cette horloge a besoin d’un horloger ».
Pourtant, c’est bien l’évolution qui, en plus de 3 milliards d’années, a amené une simple cellule baignant dans l’océan primordial, à se transformer en plus de 8 millions d’espèces, dont la nôtre.

Ainsi, je pense que nous avons avant tout besoin de reprendre conscience de l’improbabilité de notre existence pour en comprendre la fragilité. S’émerveiller devant le vivant et comprendre le degré de parenté qui nous relie à tous les êtres vivants conduisent à l’action environnementale. Elle prend des formes variées : l’investissement dans des associations ou des actions citoyennes, le vote, les choix de consommation. Il ne s’agit pas ici de faire peser tout le poids de la crise écologique sur les citoyens : il m’apparaît clairement, en revanche, qu’une partie de la solution sera portée par eux.

Retrouvez le suivi de l’expédition Captain Darwin en ligne :

À propos de l'auteur
Maud Scheid