| 29 novembre 2022
Roland Jourdain, deuxième de la Route du Rhum à bord de We Explore

Coup de théâtre dans la chaleur antillaise. Roland Jourdain a terminé en tête de la Route du Rhum – Destination Guadeloupe dans la catégorie Rhum Multi mais c’est à Loïc Escoffier, second, que revient la victoire. Comme le veut la procédure, les jaugeurs sont montés à bord de We Explore sitôt la ligne franchie et ont noté la rupture d’un plombage sur l’arbre d’hélice qui lui a valu 90 minutes de pénalités. Roland Jourdain, déjà double vainqueur de la Route du Rhum a chaleureusement félicité le nouveau vainqueur avec qui il s’est battu pendant tout le tour de la Guadeloupe.

Le « pas de côté »

Surtout, ce podium illustre une nouvelle approche pour Roland qui revendique son « pas de côté ». Derrière cette expression se cache une volonté d’appréhender la course au large de manière différente, plus respectueuse de l’environnement. Son catamaran We Explore intègre en effet 50 % de fibres de lin et le pont est la plus grande pièce jamais construite en fibres végétales. Au-delà de cette innovation, tout est fait à bord de We Explore pour limiter l’impact environnemental et la « seconde main » y a toute sa place. L’un de ses spis l’a en effet accompagné sur son dernier Vendée Globe en 2009 et même ses couverts ou la chaise de la table à carte ont déjà connu plusieurs vies. Cette démarche, portée aux côtés de Sophie Jourdain-Vercelletto, valorise la performance environnementale bien avant la performance sportive et c’est ce qui rend cette performance encore plus belle et inattendue.

Un final haletant

Personne au sein de l’équipe We Explore n’aurait en effet pu imaginer un tel final. Comme Yoann Richomme en Class 40, Roland écope d’une pénalité de quatre heures au départ de Saint-Malo pour avoir franchi la ligne trop tôt. Ce handicap initial, Roland s’en affranchi après une traversée du Golfe de Gascogne express. Les tempêtes se succèdent mais Roland parvient à préserver sa machine dans une mer démontée. C’est ainsi en deuxième position, sans la moindre avarie, qu’il attaque les alizés. Dans cette portion de parcours, We Explore souffre d’un déficit de vitesse ce qui permet à Escoffier de prendre la seconde place. C’est à ce moment-là, à seulement 500 milles de l’arrivée que l’histoire devient folle. Le leader, Gilles Buekenhout chavire malheureusement à bord de son trimaran Jess. Roland et Loïc sont un temps déroutés par la Direction de Course pour lui venir en aide mais c’est finalement un cargo qui embarque le skipper belge. La course reprend entre les deux hommes mais Loïc Escoffier écope à son tour de trois heures de pénalité en raison d’un problème de plombs. Ce concours de circonstances offre à Roland un trou de souris dans lequel il se faufile pour prendre la tête de la Route du Rhum. Il parvient, pendant 24 heures, à contenir les assauts de son poursuivant malgré de grosses sueurs froides lors du tour de la Guadeloupe. Il arrive ainsi en tête à Pointe-à-Pitre et croit, un temps être le vainqueur de l’épreuve avant que les arbitres ne lui infligent cette pénalité que le skipper prend avec le sourire. « Si j’avais gagné La Route du Rhum grâce à la pénalité de Loïc (Escoffier), jamais je n’aurais pu me regarder dans la glace. J’étais en train de me dire que si jamais j’étais arrivé devant lui, je serais allé voir la direction de course et aurais exigé que l’on soit deux vainqueurs ex-aequo. Et puis, le destin a joué comme il a dû. » a expliqué Roland juste après l’arrivée.

Une preuve de concept

Grâce à ce podium, Roland Jourdain marque encore un peu plus cette transat de son empreinte. Déjà vainqueur à deux reprises, il a participé à cette édition dans un état d’esprit différent. Plus que tout, cette performance apporte la preuve qu’il est possible d’aborder la course au large avec un regard nouveau, plus respectueux des océans et de l’environnement.

Roland Jourdain, interview à l’arrivée au ponton

« Il y a eu des rebondissements jusqu’à la ligne d’arrivée mais depuis hier, je suis vert. Si j’avais gagné La Route du Rhum grâce à la pénalité de Loïc (Escoffier), jamais je n’aurais pu me regarder dans la glace. J’étais en train de me dire que si jamais j’étais arrivé devant lui, je serais allé voir la direction de course et aurais exigé que l’on soit deux vainqueurs ex-aequo. Et puis, le destin a joué comme il a dû. Tout à l’heure, après la ligne d’arrivée, on a vu que le plomb en plastique était pété.
Mais vraiment, qu’est-ce que l’on s’impose comme contraintes à la con ! C’est vraiment terrible. On arrive à faire un Vendée Globe avec une déclaration sur l’honneur en disant que l’on respecte des choses. Un peu de bon sens ne nuirait pas, mais bon…

Je suis super content. Jamais je n’aurais imaginé faire un podium avec mon bébé en lin. La preuve du concept est faite. Il est costaud, il va bien. On n’a rien cassé, on s’est bien entendu. Je suis vraiment hyper ravi. Un, deux ou trois : qu’importe le flacon pourvu que l’on ait l’ivresse. On s’est livré une super bagarre avec Loïc. Je ne pensais pas me prendre au jeu comme ça quand même. Ça va me faire des courbatures tout ça demain. On a quand même bien tiré sur nos bateaux et sur nous-mêmes.

C’est chouette parfois de dire que l’on a coché des cases. L’objectif était de montrer que d’un point de vue technique, les matériaux alternatifs ont un avenir, potentiellement dans le monde de la course au large aussi pour peu que l’on veuille bien se poser et réfléchir différemment.
Parce que finalement, je suis l’homo sapiens du XXIe siècle qui essaie de faire sa transformation et qui n’y arrive toujours pas parce que tu me mets sur un bateau, je veux aller plus vite que les autres. Comme quoi, tu arrives à faire un peu avec du monde d’avant un peu du monde d’après. We Explore, c’est pour explorer des solutions comme ça que ce soit en termes de matériaux, de limitation de notre impact environnemental et d’augmentation du plaisir, surtout.

Et j’ai pris beaucoup de plaisir à toutes les phases parce que c’était n’importe quoi. Je vole le départ alors que c’est contraire à la philosophie du projet : carpe diem. Et puis je me prends au jeu, clac, bim. Quatre heures de pénalité. Et puis je me suis dit que j’allais essayer de raccrocher les wagons et j’y arrive bon an, mal an. C’est super génial de faire le jeu de la stratégie. Avec celui, on s’entendait bien. On se dit : « est-ce que l’on va dans les grosses vagues mon bébé mais pas trop, un peu de vent mais pas trop quand même non plus. Mais si on n’y va pas, les gens vont croire que ça ne va pas tenir non plus. Alors on a discuté beaucoup.

J’ai pris beaucoup de plaisir à faire de la stratégie avec mon petit champ de lin. Et après c’est aussi le plaisir du compétiteur d’hier. Dans les bateaux d’aujourd’hui, on ne voit plus dehors. On vit enfermé des boîtes. Et là, j’ai une vue panoramique, j’ai la vraie vie.
Je suis revenu à ce que je cherchais au début : être en contact avec les éléments. Et dans la quête de la vitesse à tout prix, on commence à se décoreller des éléments. C’est extrêmement incroyable, tout ce qu’il se fait à côté. Mais il y a toujours un basique : si on est allé sur l’eau, c’est que l’on avait de la mer, des nuages, du vent. Donc effectivement, par efficience, on se camoufle de tout ça pour aller plus vite et je ne sais pas si c’est la bonne chose d’aller plus vite en fait. La question est ouverte !

Si j’ai navigué l’écoute dans la main même en dormant ? Chassez le naturiste, il revient au bungalow. Et 1000 fois, je me suis dit que j’étais con mais en même temps, c’est faire au mieux avec ce que tu as. Il y a des heures où j’ai passé mes heures d’abruti habituel à regarder ce passage de cette vague-là, et puis de l’autre. Mais c’est tellement agréable, pour peu que l’on aime ça, d’être dans une espèce de demi communion, savoir ce que lui veut, essayer de se faire un petit écosystème qui fonctionne bien.
Pour les voiles, je n’ai pas été très heureux, le concept étant dans la sobriété, j’ai été beaucoup dans le re-use J’ai un spi de La Route du Rhum 2006 qui a fait 01h30. Le gennaker du Vendée Globe a fait une séance voilerie avant-hier où je lui ai recollé des patchs et mon spi rouge m’a quitté hier soir avec grands fracas. Il m’a donné deux heures de boulot, j’ai mal aux mains. Il n’y a pas que du bon. On fait aussi des erreurs, on apprend en marchant.

Ce n’est plus une cerise mais une citrouille le gâteau. Je n’imaginais pas faire un podium. Le concept était de faire traverser le bateau, de faire parler du projet mais ça m’a plu et c’est confortable. Ça tape aussi mais cette vue panoramique. Tu es bien, quoi . »

À propos de l'auteur
Maud Scheid